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Jean C. Baudet

Testament philosophique 5 (sur l'epistemologie)

15 Octobre 2015 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Philosophie, #Epistémologie

Connaître, c’est toujours observer. Voilà le fondement de ma philosophie. Je dois tenter de l’exprimer clairement, en termes simples, car les questions « existentielles » sont simples, et méritent des réponses sans littérature, sans rhétorique et sans pédanterie. Je répugne à sombrer dans le verbalisme et la logomachie de nombre de philosophes contemporains, souvent acclamés par les modes (existentialisme, structuralisme, nouvelle philosophie…), mais dont le contenu doctrinal est décevant. Que puis-je savoir, que puis-je espérer, que puis-je faire, voilà les trois questions que tout homme sensé se pose. Commençons par la question du savoir, qui est du ressort de la gnoséologie ou épistémologie (termes synonymes, car il n’y a pas différentes sortes de connaissance : on sait ou on ne sait pas).

Mes enquêtes en histoire des systèmes de pensée m’amènent à admettre que tout savoir provient toujours d’une observation, c’est-à-dire d’une orientation de la conscience (le sujet connaissant) vers l’extérieur de la conscience (l’objet à connaître). Malgré d’innombrables méditations sur ce problème de la cognition, je ne parviens pas à sortir du schéma « conscience – connaissance – Être », car ma conscience (et l’intersubjectivité me permet de généraliser : « toute conscience ») est toujours dirigée vers quelque chose qui n’est pas elle, et qui fait partie de l’Être. Tout savoir est forcément une connexion entre un « moi » et un « non-moi ». C’est ce que Husserl, se basant sur la psychologie de Brentano, appelle « intentionnalité ».

Mais l’analyse montre facilement qu’il existe plusieurs modes d’observation. Il y a d’abord l’observation par le truchement des sens (die Sinnlichkeit, « la sensibilité », disait Kant) qui s’interposent entre le sujet et l’objet. C’est la connaissance commune, celle de la vie quotidienne. Je « sais » qu’il y a des nuages parce que ma vue transporte les nuages (l’impression qu’ils produisent) vers mon « esprit ». Tous mes savoirs ordinaires proviennent de ce mécanisme de transmissions, et je « sais », à la suite d’observations innombrables, où se trouvent mes clés, que mon chat dort, etc.

Cette observation, que l’on peut qualifier de naïve, de spontanée, est déjà une possibilité présente chez l’animal, qui « sait » (grâce à l’observation olfactive, auditive, visuelle, tactile ou gustative) distinguer un objet comestible d’un non comestible, etc. L’observation peut conduire à la vérité ou à l’erreur : hallucinations, illusions sensorielles…

J’établis une distinction, étant donné son importance dans l’histoire de la pensée, entre l’observation d’une chose et l’observation d’une chose relative à une autre chose. Je regarde un nuage, et j’acquiers des savoirs sur cet objet. Mais je peux aussi observer un traité de météorologie (lecture, donc vision) ou assister à une conférence sur l’atmosphère (audition), qui me procurent des savoirs sur les nuages (que je ne perçois pas directement). Il faut donc distinguer l’observation sensorielle (empirisme), où les sens séparent le sujet de l’objet, et l’observation traditionnelle (traditionalisme), où je suis informé par le moyen d’une tradition (livres ou enseignement oral). Remarquons que l’observation sensorielle, présente chez l’animal, n’implique qu’un seul sujet. Je suis seul à regarder les nuages, les beaux nuages qui passent, là-bas… Par contre l’observation traditionnelle, inexistante chez l’animal, implique une vie sociale : la tradition se transmet de génération en génération.

Donc, et cela me paraît « clair et distinct », l’homme acquiert des savoirs par l’observation à l’aide de ses sens (et il faut étudier la psychologie pour évaluer la qualité de ces savoirs) ou par l’observation de traditions propres à sa tribu (et il faut étudier l’histoire des différents peuples pour comparer la valeur de leurs savoirs). Ce sont deux manières de connaître que l’on peut appeler « médiates », car elles interposent un moyen (sens ou tradition) entre l’objet et le sujet.

Certains penseurs (par exemple Henri Bergson) ont imaginé la possibilité d’une connaissance « immédiate », c’est-à-dire sans le truchement d’un moyen quelconque entre objet et sujet. La conscience est immédiatement en contact avec le monde, et en particulier avec ces parties de l’Être qui ne sont pas accessibles par les sens, et qui forment un mystérieux domaine que l’on appelle « spirituel » ou « immatériel ». Cette connaissance par observation immédiate, non sensorielle, est appelée « intuition », et serait activée notamment par les mystiques et par certains poètes.

Pendant mes 55 années de tentative de répondre aux questions sur l’être et le néant, sur la vie et la mort, sur le bien et le mal, etc., j’ai rencontré d’innombrables savoirs dont je parvenais à établir l’origine soit sensorielle (je sais qu’il y a des nuages), soit traditionnelle (je sais qu’il y a des gens qui croient qu’il existe des dieux). Mais jamais je n’ai fait l’expérience d’une intuition ! Jamais ma conscience ne fut en contact direct avec des entités extrasensorielles ! Peut-être est-ce une singularité de mon esprit, et sans doute suis-je dépourvu de la capacité intuitive (comme je suis myope, ce qui me rend incapable de voir les objets lointains avec netteté). Ou bien – et mes réflexions me conduisent vers cette idée un peu triste – l’intuition (qui est la source des « croyances ») est une illusion, d’ailleurs fort répandue, et que les religieux appellent la « foi ».

En résumé, je pense qu’il y a deux modes théoriquement possibles de connaissance, médiat (observation par les sens ou imprégnation par les traditions) ou immédiat (intuition, mysticisme). Le premier conduit au système de pensée « STI » (science-technique-industrie), le second au système « Non-STI », ou « culture » : littérature et poésie, mythes, religions, idéologies…

A suivre…

Une vidéo de l'auteur à la librairie Filigranes, à Bruxelles :

https://www.youtube.com/watch?v=HZNSrBg25XQ

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M
Bonjour,<br /> Si connaître, c'est toujours observer. Observer, synthèse de notre perception; connaître, synthèse de notre compréhension. L'être aborde les mathématiques car il fonctionne sur la base d'une logique universelle, celle-là même qui lui permet de percevoir et d'élaborer par la suite le concept du temps.<br /> Cordialement
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I
Bonsoir,<br /> Merci pour votre intéressante réflexion.<br /> Où situeriez-vous la connaissance d'un évènement réel avéré par un rêve.?<br /> J'ai rêvé qu'une amie perdue de vue perdait la vie suite à un accident de voiture.(en se "fracassant" sur un mur).Ce matin-là j'ai raconté le rêve à mon compagnon .2 jours plus tard me parvenait une lettre de ma mère m'annonçant le décès de cette amie avec un extrait de journal relatant les faits similaires à mon rêve.
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Y
Jusqu'à l'avant-dernière ligne, je me disais «Il ne parle pas du mythe?», et j'ajoutais: «Le mythe est un outil de connaissance en attendant la science». Par exemple, le primitif, l'être isolé ou l'enfant voit un nuage et peut se dire «Qu'est-ce que c'est, un message? un présage? Oui, il m'indique la direction à prendre pour (aller chasser, trouver des amis, aller jouer...).» Un outil de connaissance «à défaut» de science, «avant» la science, et autres nuances. Et par l'insatisfaction qu'il laisse, le mythe aurait causé, provoqué, fait naître... la connaissance, la science. Ou l'ordre est peut-être important: ... fait naître la science, la connaissance...
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Y
(Réponse à M. Baudet ci-dessous)<br /> Je pense surtout à un type d'observation particulièrement générateur de mythes: celle qui arrive d'elle-même, s'impose presque (au sens où on ne peut pas la manquer, comme le soleil, ou un tigre affamé attiré par mon odeur...).<br /> Je crois fécond d'utiliser le fameux «pousse-tire» des télécommunicateurs. Ici, ce serait le «pousse», je n'ai pas besoin de «tirer» pour que l'information arrive, elle arrive, qu'elle soit poussée par la nature... ou par une bête féroce.<br /> Puis, quelque chose m'incite à lui donner un sens (l'éblouissement, ou la protection contre le prédateur): voici tout de suite un mythe, que quelque chose m'incite aussi à enrichir: quel est cet être qui m'éblouit et m'éclaire, quel est cet être qui me fait peur… le premier ne peut qu'être supérieur (puisque je ne le comprends pas tout de suite et je pressens que je ne le comprendrai peut-être jamais, puisque j'ai l'instinct de chercher un gros caillou ou un gourdin pour l'assommer, et je suis loin d'être sûr de survivre).<br /> Par opposition, l'observation «tirée» (que je vais chercher par un geste volontaire; j'ai entendu quelques mesures de Bach, je veux en savoir plus) se rapproche d'une connaissance «dépourvue de mythe», ou «libérée du mythe».<br /> Mais je n'ai aucun désaccord avec votre réponse, dont je vous remercie.
J
Je n'oublie évidemment pas le mythe, en tant que source (avec le rite) des pensées religieuses. Mais le mythe est plus qu'un outil de connaissance, c'est une organisation de savoirs (comme, plus tard, les religions, la philosophie, la science...). Tout mythe rassemble divers savoirs, ceux-ci ne pouvant être acquis que par l'observation 1° sensible (je VOIS le nuage), 2° d'une tradition (j'APPRENDS que Bach a composé les concertos brandebourgeois), 3° immédiate de l'extérieur de ma conscience (j'ai l'INTUITION que la Vierge Marie existe). Il ne faut pas confondre la cause, l'outil (l'observation), avec l'organisation thétique des savoirs acquis, qui est l'effet. Il y a des multitudes d'observations qui ne conduisent à aucun mythe, mais je ne vois pas de mythes construits sans observations préalables. La distinction entre 2 et 3 (traditionalisme et intuitionnisme) doit être approfondie avec finesse. Ceux qui prétendent "croire", sincèrement, ne font sans doute que suivre une tradition sans en avoir pleinement conscience.