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Jean C. Baudet

A quoi pensent les Belges

25 Septembre 2011 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com

J'ai consacré trois livres à la Belgique : Les Ingénieurs belges (1986), Histoire des sciences et de l'industrie en Belgique (2007) et A quoi pensent les Belges (2010). On peut se demander pourquoi j'ai attribué de l'importance à un sujet (le royaume des Belges) aussi limité, étriqué, ridicule même par sa petitesse, risible au fond, et pitoyable, par ses mesquineries. Je pourrais répondre par le cynisme (qui donne souvent de bonnes réponses) : il y a un marché pour ça ! J'ai fait des livres pour qu'ils se vendent, et ils se sont vendus. Il n'y a pas de sot métier. Mais il y a une réponse moins odieuse - parce que, dans certains milieux, singulièrement les milieux littéraires, le "commercial" est odieux, comme s'il était plus honorable, plus glorieux et plus socialement utile de publier des poèmes (que personne n'achète, excepté les pouvoirs publics de la Culture Multiple et de la Pensée Unique) que de vendre des frites, de la bière, ou des livres que l'on lit. La réponse plus "profonde" (il y a des auteurs qui aiment la profondeur, et qui se perdent même dans les tourbillons de leur pensée, cfr Husserl, Heidegger et alii), c'est que la Belgique est le lieu, non pas symbolique mais réel, où se joue l'avenir de l'Europe, c'est-à-dire de la Civilisation.

 

Ici, mes contempteurs pousseront des cris plus hauts encore que ceux qu'ils poussèrent en apprenant que je vends mes livres. Quoi, hurlent-ils en choeur, assimiler la Civilisation et l'Europe ? Quelle indécence ! Quel ethnocentrisme (voir Le Mariage de Mademoiselle Beulemans) ! Peut-on oublier que les Indiens d'Amérique ont apporté le tabac à l'Humanité, ainsi que les plumes des gilles de Binche ? Et ne sait-on pas que le Zéro a été inventé par les Indiens des Indes Orientales ? Je note qu'il y a de bonnes raisons de croire que les mathématiciens indiens furent inités à leur discipline par les Grecs, mais passons, et revenons aux Belges - qui, en fait de civilisation, ont apporté à l'Humanité la mitrailleuse, le saxophone, le générateur de courant électrique, les bases de l'immunologie, le chocolat Côte d'Or, le boudin de Liège, les pieux de fondation, sans compter Tintin et Maigret...

 

En Belgique s'est concentrée toute la force brutale qui ne cesse de vibrer depuis le Traité de Verdun (843), quand les héritiers de Charlemagne placèrent une frontière linguistique entre les gens de culture latine et ceux de langue germanique. Une humiliation, qui couvait depuis longtemps, devait couver encore et prendre de plus en plus de vigueur pendant des siècles. En 1914, puis en 1940, il en résulta des événements qui auraient pu conduire à la fin de l'Europe. Il faudra attendre encore, mais combien d'années ? La Belgique est ainsi un lieu (il y en a quelques autres) où se perpétue l'humiliation des Germains d'avoir une langue moins importante que le latin au Moyen Age, que le français depuis Louis XIV et puis Voltaire - malgré les splendeurs d'un Kant ou d'un Goethe. Je trouve cette humiliation parfaitement exprimée par le moine tudesque Eginhard, dans sa Vita Karoli imperatoris (vers 830), quand dans sa préface il demande à ses lecteurs d'excuser l'audace d'un barbare peu exercé dans la langue des Romains, qui a cru pouvoir écrire en latin. Plus de quatre siècles après la prise de Rome par le Wisigoth Alaric (410), les locuteurs du francique ressentent encore leur infériorité intellectuelle par rapport aux latinophones, héritiers il est vrai des splendeurs littéraires et philosophiques de la Grèce.

 

Verdun fonde le destin de l'Europe (pour l'Histoire, il faut des siècles pour qu'un destin s'accomplisse). N'ayant pu réaliser l'uniformisation culturelle et linguistique des romanophones et des germanophones, ayant maintenu et intensifié une différence parmi les Européens, les descendants des signataires du traité maléfique ont durci des oppositions, qui ont entretenu un fossé intellectuel entre les deux grandes masses qui forment l'Europe de Lavoisier et de Beethoven, de Balzac et d'Einstein. Il était fatal que l'humiliation germanique se réveille un jour ou l'autre chez les Belges, peuple qui aurait pu être l'exemple d'un choix linguistique rationnel et pragmatique, et qui sera le lieu d'où s'ébranlera une nouvelle onde dévastatrice, qui fera s'enliser les institutions européennes dans le multiculturalisme obsessionnel, puis s'effondrer l'économie européenne, pendant que des masses (humiliées par d'autres causes) attendent, non seulement à l'extérieur des frontières de l'Europe, mais déjà installés au coeur même de l'Union Européenne, de se rapaître des dépouilles.

 

Ce petit pays valait bien trois livres.

 

PS.1.- A propos de la profondeur chez certains auteurs, j'en connais de tellement profonds qu'ils ne remonteront jamais à la surface.

PS.2.- Il n'est pas inutile de se souvenir que, depuis l'Egypte des pharaons jusqu'aux USA, toutes les grandes nations furent unilingues. C'est quand l'Empire romain dut choisir entre le latin et le grec que le destin de Rome fut scellé.

 

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