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Jean C. Baudet

Le Congo Belge et Jacques Braibant

21 Avril 2014 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Belgique, #Histoire

Je viens d'achever la lecture, intéressante et même captivante, du livre Congo - Un pari stupide, de Jacques Braibant, qui vient d'être publié par les éditions Jourdan (Bruxelles-Paris, 2014, 237 pages). L'auteur a vécu sa jeunesse au Congo Belge, jusqu'en 1960 (il est né en 1941), et il s'est soigneusement documenté sur l'histoire de cette colonie, depuis 1876 jusqu'à ce que la Belgique lui accorde l'indépendance, le 30 juin 1960. L'on se souvient qu'il suffira de quelques jours pour qu'éclatent des émeutes qui conduisent aux pillages, aux destructions, aux viols, aux tortures, aux massacres.

Ce qui frappe dans le livre de Braibant, c'est d'une part sa capacité de construire un récit passionnant (la violence et la bêtise humaines forment, on le sait, la base de l'intérêt "littéraire"...) en mélangeant habilement souvenirs personnels, extraits d'archives et commentaires de simple bon sens, et d'autre part la mesure (rare chez nos historiens contemporains plus soucieux d'idéologie que de vérité historique) avec laquelle il décrit les événements, replacés dans leur contexte. Certes, les délégués du roi Léopold II, à la fin du XIXème siècle, firent travailler dur des Congolais, mais n'était-ce pas le temps où les Belges n'hésitaient pas à envoyer leurs propres enfants dans les mines de Wallonie ? Et si l'on reproche au grand roi d'avoir voulu doter son pays d'une colonie, il faut se souvenir qu'en 1876 les grands pays européens étaient colonisateurs, ou candidats-colonisateurs ! On ne juge pas un fait historique avec les lunettes éthiques d'un historien vivant cent ans après les faits, et l'éthique de 2014 n'est plus celle de 1876.

Rappelons qu'en septembre 1876 est fondée l'Association internationale pour réprimer la traite et ouvrir l'Afrique centrale à la civilisation, en conclusion d'une conférence internationale convoquée à Bruxelles par le roi des Belges. Rappelons aussi que le mot "traite" désignait l'esclavagisme organisé par les Arabes mahométans au dépens des populations congolaises, et ayons l'honnêteté de reconnaître que la chasse aux esclaves était bien plus rude que le travail forcé organisé dans les territoires de l'Etat Indépendant du Congo, quand celui-ci est créé et mis sous l'autorité du roi Léopold.

En somme, l'aventure belgo-congolaise, de 1876 à 1960, est celle de la rencontre tragique entre des peuplades flamandes et wallonnes et des peuplades africaines. Les premières connaissent l'écriture, la philosophie de Hegel, les chemins de fer, la machine à vapeur, le saxophone (inventé d'ailleurs par le Belge Sax), les moteurs électriques (grâce, encore, à un Belge, Gramme) et les poèmes de Baudelaire. Les populations autochtones du Congo ignorent l'écriture et vivent à l'âge de la pierre, ne connaissant pas la philosophie, les moteurs, les alexandrins et la monarchie constitutionnelle bicamérale, pratiquant la sorcellerie et le cannibalisme. Rencontre entre un peuple "avancé" (je veux désigner les Belges) et un peuple "attardé". Voilà le drame. Il s'est passé cent fois dans l'histoire, et c'est la répétition, sous d'autres cieux et à époque où l'écart civilisationnel était encore devenu plus grand, de la rencontre entre les Romains avancés de Jules César et les Belges attardés, Ménapiens et Eburons, d'il y a deux mille ans. Il y a des constantes dans l'Histoire.

Il est passionnant de lire, dans le livre de Braibant, de larges extraits des discours et discussions de la Table Ronde qui s'est tenue à Bruxelles en janvier et février 1960, réunissant ministres belges et délégués congolais (dont Patrice Lumumba et Joseph Kasa-Vubu), chargée de préparer l'indépendance de la colonie belge. Les Congolais voulaient l'indépendance immédiate, les Belges ont tenté de la retarder pour que le grand pays qu'est le Congo, avec des distances considérables, aie le temps de mettre en place une administration efficace. L'insistance des Congolais fut telle que les Belges acceptèrent le 1er juin (ce sera finalement le 30 juin) ! Parier que le Congo, dépourvu de juristes, d'ingénieurs, de poètes et d'archéologues, allait pouvoir se doter d'une organisation efficace en quelques mois était, comme le dit justement Braibant, un pari stupide. Mais qui étaient les parieurs ?

J'ai pu apprécier la difficulté de gouverner le Congo ex-belge lors de deux séjours dans ce pays de moustiques, avec de sinistres maladies tropicales, en 1966-1968 et en 1973-1975. Je suppose qu'aujourd'hui ce pays, dont on vante naïvement les ressources naturelles (que vaut un minerai sans géologues, sans chimistes, sans ingénieurs, sans agents commerciaux et sans voies de communication ?), 80 fois plus étendu que la Belgique, se porte mieux qu'en 1975. Les délégués congolais, autour de la Table Ronde, n'ont pas voulu regarder en face les réalités physiques et économiques, hypnotisés par le mot "indépendance". On est toujours perdant, quand on veut ignorer les réalités économiques.

Pour info :

Librairie Filigranes (Bruxelles), extrait d'une conférence sur l'histoire des sciences : 

www.youtube.com/watch?v=HZNSrBg25XQ

Télé Bruxelles, interview sur ma philosophie :  

www.telebruxelles.net/portail/emissions/magazines-a-voir-en-ligne/rencontre/21416-041012-jean-baudet

Canal C (Namur), interview sur mes travaux sur l'invention technique :  

www.canalc.be/index.php?option=com_content&view=article&id=100001595:entree-libre-de-jean-baudet-&catid=114:entree-libre&Itemid=56

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