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Jean C. Baudet

Sur Heidegger, la Technique et l'editologie

7 Avril 2014 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com

La pensée sérieuse doit régulièrement revenir à sa source, il convient que régulièrement le penseur rééprouve l'émotion de la prise de conscience qui l'a conduit à ses résultats, et je me souviens que mes constructions intellectuelles et tout mon travail philosophique dérivent de la vive impression, au début de ma recherche, que je ressentis en découvrant "l'importance de la Technique", au début des années 1960. Je me souviens aussi qu'à cette époque la Technique était méprisée par les ténors de l'intelligentsia, ou du moins oubliée. Les philosophes en vue parlaient de la Poésie, de la Politique (avec une passion peut-être suspecte), de l'Art, parfois même de la Science, mais presque jamais de la Technique. Comme s'il était plus "humain" de peindre un tableau abstrait ou de composer un poème abscons que de fabriquer des vélocipèdes ou de produire du courant électrique... Le couple Sartre-Beauvoir s'intéressait à la lutte des classes et aux gestes de la sexualité, mais n'a pratiquement rien écrit sur les locomotives, sur les techniques de télécommunication, sur les vaccins... C'est dire ce que l'attention pour la Technique avait de novateur !

Ainsi, je me souviens de ma lecture de la Lettre sur l'humanisme de Heidegger (1957, le texte allemand date de 1949). En voici le passage crucial : " L'essence du matérialisme se dissimule dans l'essence de cette technique sur laquelle, à vrai dire, on a beaucoup écrit mais peu pensé. La technique est dans son essence un destin historico-ontologique de la vérité de l'Être ". Dans d'autres textes, et dans son style amphigourique et ambigu, Heidegger s'est exprimé différemment sur l'essence de la Technique (voir mon étude sur Heidegger dans mon livre La vie des grands philosophes, 2013), et il n'est pas facile d'établir en termes clairs et distincts sa position sur le sens ultime de la Technique (au demeurant, la doctrine de Heidegger a sans doute évolué tout au long de sa vie). J'ai en tout cas repris à mon compte l'intuition heideggérienne de la Technique comme "destin de la vérité de l'Être", et je pense que, comme le disait apparemment naïvement Saint-Exupéry, " l'homme se découvre devant l'obstacle ". Être devant l'obstacle, c'est la position de l'homo technicus, qui arrive parfois à franchir l'obstacle, et cela uniquement par la Technique. Seule la Technique permet à l'homme de se nourrir, de se vêtir, de s'abriter et de franchir de grandes distances, et donc elle seule lui permet de " persévérer dans son être ". Et la Technique distingue définitivement l'homme de l'animal. Et surtout, la Technique révèle à l'homme l'adversité de l'Être (de la Nature) et indique des limites infranchissables (le mouvement perpétuel, la vitesse de la lumière, la dégradation de l'énergie, etc.).

Et les productions intellectuelles les plus admirées (jusqu'à la pâmoison), comme la Musique, la Poésie, la Démocratie, ne sont possibles que grâce à l'invention du langage, l'invention la plus déterminante de la Technique après celle de l'outil. D'où la découverte du caractère "linguistique" de la Technique (voir mon livre Le signe de l'humain, 2005) qu'il faut mettre à l'actif de l'éditologie (edito : " je publie", donc je communique). C'est par la communication, c'est-à-dire par la liaison entre différents domaines de l'Être, que la Technique trouve sa puissance et se transformera en Technologie. L'informatique est d'abord une technique communicationnelle et c'est autour du lien (émetteur-récepteur) qu'elle se développe. On pourrait dire, paraphrasant Heidegger, que la Technique est un destin logo-ontologique. Et l'on en revient, après l'étude des humbles outils des "manuels" (marteaux, faucilles, etc.) au mystère du "logos", c'est-à-dire à cette capacité de l'Être d'établir des liens entre ses composantes. Le développement formidable de la Technique en Technologie est la preuve incontournable des potentialités des premiers gestes techniciens du singe hominisé, aussi simples furent-ils : casser un caillou en deux, ou relier, pour faire une hache, un caillou taillé et un morceau de bois. Séparer ou assembler.

Au commencement n'était pas le Verbe, mais le Geste.

Pour info :

Librairie Filigranes (Bruxelles)

www.youtube.com/watch?v=HZNSrBg25XQ

Télé Bruxelles

www.telebruxelles.net/portail/emissions/magazines-a-voir-en-ligne/rencontre/21416-041012-jean-baudet

Canal C (Namur)

www.canalc.be/index.php?option=com_content&view=article&id=100001595:entree-libre-de-jean-baudet-&catid=114:entree-libre&Itemid=56

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