A quoi sert-il d'ecrire ? (suite)

Dans mon dernier billet, daté du 19 février, je posais la question : « à quoi sert-il d’écrire ? ». Il ne faut pas se tromper sur la portée de ce questionnement. Il ne s’agissait pas de répondre simplement en psychologue ou en « neuroscientifique », et de chercher à comprendre comment un animal muni d’un système nerveux central très complexe parvient à faire des phrases en unissant des mots (les signifiants) à des choses (les signifiés), c’est-à-dire chercher le degré zéro de l’écriture, soit la performance verbale d’un individu face à lui-même (subjectivité). Il ne s’agissait pas davantage de répondre sommairement en sociologue ou en « anthropologue culturel », et de tenter de comprendre les échanges conceptuels et axiologiques par le truchement de l’univers verbal, c’est-à-dire tenter d’analyser les émissions et réceptions de textes et d’idées au sein d’une collectivité humaine où l’acte communicationnel met face à face chaque individu avec tous les autres (intersubjectivité).

Il s’agissait d’aller au-delà des questionnements de l’épistèmè, de dépasser le niveau des disciplines « scientifiques », et d’oser pénétrer dans la forêt obscure (Nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai per una selva oscura) de la quête philosophique. Il s’agissait de passer du problème de la communication au mystère de la signification (pour reprendre la célèbre distinction que faisait Gabriel Marcel entre problème et mystère), c’est-à-dire à la question de l’écriture comme fondement de savoir, ou au moins de recherche (voir Jacques Sojcher : La démarche poétique, 1969 ; voir aussi Jean C. Baudet : Une philosophie de la poésie, 2006). Il s’agissait surtout de savoir (mais ce savoir est-il possible ?) si l’écriture, qui constitue la plus grande part du travail du poète et du philosophe, est en mesure de révéler dans ses phrases les déterminations de l’Être. Le philosophe ou le poète qui écrivent, que disent-ils vraiment ? Il faut se demander « Qu’appelle-t-on écrire ? », comme Heidegger demandait « Qu’appelle-t-on penser ? ». Il faut se demander si dans la ténébreuse forêt de la quête philosophique il y a des chemins qui mènent ailleurs que nulle part !