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Jean C. Baudet

Sur l’atheologie de Michel Onfray

21 Mars 2018 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Religion

Je suis en train de relire le Traité d’athéologie de Michel Onfray, que j’avais déjà lu lors de sa parution, en 2005. C’était l’année où je publiais deux livres dans la collection Ouverture philosophique des éditions L’Harmattan (Paris) : Mathématique et vérité et Le Signe de l’humain. A cette époque, je préparais un troisième ouvrage pour cette collection, qui sortira en 2006 sous le titre Une philosophie de la poésie. Il s’agissait de développer une analyse épistémologique de la démarche poétique, à la lumière notamment des travaux de Roger Caillois, de Martin Heidegger, de Julia Kristeva. Je me servais de la critique littéraire (les mystères esthétiques), de la phénoménologie (le dépassement de la raison par la raison), de la psychanalyse (les obscurités révélatrices de l’archéologie du Moi) pour tenter d’évaluer la valeur cognitive des travaux de ces poètes qui pensent atteindre l’indicible et l’inexprimable (le sens de l’Être) par la construction de poèmes, d’ailleurs libérée des règles de la versification.

Mais venons-en à Michel Onfray, dont l’œuvre est importante et stimulante, qui s’est fait connaître du grand public par des apparitions fréquentes et remarquées à la télévision.

Dans un style flamboyant, soutenu par une vaste érudition de grande qualité, rassemblant une documentation considérable sur le fait religieux, Onfray nous présente les grandes options de ce qu’il appelle l’athéologie athée, par opposition à l’athéologie chrétienne. C’est que, pour l’inventeur de l’athéologie, la « mort de Dieu », annoncée vigoureusement par Frédéric Nietzsche et dont la nouvelle s’est répandue dans les pays chrétiens (Marx, Durkheim, Freud, Lénine, Sartre…), a fait naître un courant de pensée qui ne s’est pas entièrement débarrassé des idées archaïques imprégnant les esprits (même de certains philosophes), dont la prégnance est due à des siècles de domination des superstitions judéo-chrétiennes, et qui colore encore les positions même d’agnostiques et d’athées qui ne parviennent pas à se départir tout à fait des idées de valeurs « sacrées » imaginées par les Hébreux au temps de Nabuchodonosor, roi de Babylone. Onfray résume fort bien l’évolution, lente et toujours combattue avec fanatisme et férocité par les religieux, de la négation des dieux, qui commence avec les philosophes grecs (Xénophane de Colophon, Démocrite, Epicure, Hégésias, Théodore l’Athée…), et reprise, après un long Moyen Âge, par François de La Mothe Le Vayer, Spinoza, l’abbé Meslier, La Mettrie, d’Holbach… Onfray s’attache spécialement à analyser la séquence judaïsme-christianisme-islam, qui va des imprécations des prophètes d’Israël jusqu’aux œuvres des mollahs et des oulémas contemporains, de Tariq Ramadan, de Salah Abdeslam et du pape François. C’est que les monothéismes dominent l’intelligence de plusieurs milliards d’hommes. Onfray nous rappelle aussi que ces monothéismes sont basés sur de puissantes et furieuses détestations : les monothéistes détestent l’intelligence et les débats, la recherche et le libre examen, les plaisirs corporels, la femme (en tant que « tentatrice »), l’écriture (à quoi bon écrire des livres quand tout est dit dans la Torah, dans les évangiles et dans le Coran ?). Ils détestent jusqu’à instituer la terreur des persécutions des païens et des philosophes par l’Empire romain après Constantin, jusqu’à instituer l’Inquisition, jusqu’à la Saint-Barthélemy, jusqu’au terrorisme islamiste.

Dans sa déconstruction des croyances (polythéismes comme monothéismes) l’athéologien Onfray utilise donc les données de l’Histoire, mais il alimente aussi sa réflexion de considérations psychosociales, parce qu’avant d’être des phénomènes historiques, les religions commencent forcément, à leur tout début (à la fin du Paléolithique), par des émotions et la mise en œuvre des facultés imaginatives : degré zéro de la croyance d’ordre individuel et psychologique, subjectif, qui est la découverte de la Peur et l’invention concomitante de l’Espérance. Le degré un de la croyance est alors d’ordre collectif et sociologique, intersubjectif, qui est la formation et le développement des rites (une liturgie) et des mythes (un dogme). Bref – et nous rejoignons tout à fait Onfray dans cette analyse –, c’est la Peur, la prise de conscience de souffrances futures, y compris peut-être après la mort (mythe de l’Enfer et de la damnation éternelle), qui est à l’origine du fait religieux.

Les organisateurs du vivre-ensemble, les adulateurs des droits de l’homme et de la démocratie et de la laïcité, les défenseurs des libertés (de pensée, d’expression…), les concepteurs des programmes d’instruction publique, les champions des valeurs civilisationnelles, c’est-à-dire les politiques, devraient promouvoir l’enseignement de la philosophie et de l’histoire comparée des religions. Ils devraient s’initier sérieusement, se libérant de toute tradition remontant, dans sa psychogenèse, à l’âge de la pierre, à l’athéologie.

 

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