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Jean C. Baudet

Sur la tripartition de l’ame

28 Octobre 2019 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Philosophie

Il est intéressant, et il est même nécessaire, pour l’épistémologue, d’étudier en profondeur l’évolution de la pensée. Et, en effet, faire de l’épistémologie n’est pas autre chose que « penser la pensée ».

Penser, c’est activer ses « fonctions mentales » (du latin mens, esprit), et l’épistémologue doit s’efforcer de connaître et de comprendre d’où vient que, chez l’homme, la pensée se produise et s’exprime.

On sait que, chez les peuples primitifs, la pensée est sensée être produite par l’âme. Quand naît la philosophie, au VIème siècle, Pythagore (c. 580-495) conçoit l’âme comme une entité éternelle enfermée dans le corps (sôma) comme dans un tombeau (sêma). Cette âme est soumise à la transmigration ou métempsychose, dont la doctrine est originaire de l’orphisme, ou des religions de l’Inde. Pythagore établit une topographie de l’âme qu’il dit être formée de trois parties, inférieure, médiane et supérieure. Celle-ci réside dans la tête, qui est le siège de l’intelligence, de la raison. Dans le tronc se trouvent les parties inférieure et médiane, qui commandent la motricité, la nutrition et la génération. Ce schéma sera repris par Platon qui développe, dans le Timée, cette idée d’une division topographique ajustée à une division fonctionnelle de l’âme. La tête commande la raison, le cœur la sensorialité et la motricité, et le foie active la nutrition et la génération. Dans la République, Platon réexpose sa doctrine de la tripartition de l’âme, en établissant un parallèle entre les trois parties de l’âme et les trois fonctions des sociétés : la fonction dirigeante, la fonction guerrière et la fonction économique. Remarquons que l’on retrouvera chez Georges Dumézil cette idée des trois fonctions, dont il fit une singularité des peuples indo-européens. Le chef de l’Académie distinguait dans l’âme la logisticon (siège de la raison), le thymos (colère) et l’épithymia (appétit). Il a également proposé sa trisection de l’âme dans le Phèdre, où il compare l’âme à un attelage formé d’un cheval noir (l’âme désirante), d’un cheval blanc (l’âme irascible) et d’un cocher (la raison).

Vers 330 avant notre ère, Aristote, qui fut un disciple de Platon à l’Académie, reprend et approfondit les conceptions de son maître dans un ouvrage Péri psychè (De anima, en latin), fondant une « psychologie » qui sera largement acceptée, notamment, pendant le Moyen Âge, par les musulmans d’Arabie et par les chrétiens d’Europe. Aristote distingue quatre facultés, qui correspondent à trois âmes : la faculté nutritive et générative (l’âme végétative), la faculté sensitive et la faculté motrice (l’âme animale), et la faculté pensante (intellect). Mais si Aristote accepte la tripartition platonicienne, il rejette l’immortalité de l’âme, qui disparaît lors de la mort.

Selon Aristote, l’âme est la forme (ou entéléchie) du corps qui est la matière, ou encore l’âme est l’acte et le corps la puissance, c’est la doctrine de l’hylémorphisme. L’âme des végétaux ne possède que la faculté nutritive et générative ; l’âme des animaux possède en outre la faculté sensitive et la faculté motrice ; l’âme des hommes possédant en plus la faculté dianoétique, apanage de l’humanité.

Et donc, la psychologie aristotélicienne sera enseignée pendant l’époque hellénistique, pendant l’époque romaine, pendant le Moyen Âge et pendant le début des temps modernes, mais avec la reprise du dogme de l’immortalité de l’âme, idée fondatrice des religions.

En 1745, le médecin et philosophe Julien Offroy de La Mettrie publie une Histoire naturelle de l’âme, dans laquelle il rompt radicalement avec cette idée d’immortalité, provocant un scandale retentissant. Le livre de La Mettrie est brûlé publiquement. L’auteur se réfugie aux Pays-Bas.

En 1751, paraît le premier volume de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Dans le préambule, les encyclopédistes ont également recours à une trinité. Ils expliquent que toutes les connaissances humaines peuvent être réparties dans trois domaines, l’Histoire, la Philosophie et la Poésie. Ainsi existe-t-il trois ressources pour le travail intellectuel : la mémoire (Histoire), l’intelligence (Philosophie) et l’imagination (Poésie). Cela correspond encore à une tripartition de l’âme, ou du moins des facultés mentales.

On retrouvera l’idée d’une tripartition de l’esprit humain chez Kant, qui en 1781 publie sa Critik der reinen Vernunft : il y a trois instances, die Sinnlichkeit, der Verstand et die Vernunft. Le nombre trois sera encore sollicité par la psychanalyse pour l’étude des facultés mentales. Freud, dans sa « première topique », définit 3 entités, la conscience, la subconscience et l’inconscience. Dans sa seconde topique, il distingue le Ça, le Moi et le Surmoi.

A la fin du XXème siècle, la biologie, dans le cadre du physicalisme, définit l’âme comme une propriété émergente de l’organisation du cerveau : le tout est plus que la somme des parties (voir, par exemple, l’œuvre du biologiste canadien Cyrille Barrette, né en 1945).

Aujourd’hui, les progrès immenses des « neurosciences » ont balayé les conceptions archaïques, c’est-à-dire préscientifiques, de Pythagore, de Platon, d’Aristote, de Kant, de Freud, qui n’étaient en somme que le résultat de raisonnements naïfs, hâtifs et prématurés, basés sur des observations insuffisantes… La coopération de la neurologie (morphologie, physiologie et pathologie du système nerveux), de la biochimie (neurotransmetteurs, substances psychotropes, hormones), de la psychotechnique, de l’électroencéphalographie, de la psycholinguistique, de la théorie de l’information et de l’informatique, de l’imagerie par radiographie ou par résonance magnétique nucléaire, de la technologie de l’intelligence artificielle, a bouleversé la connaissance des processus mentaux, et ouvre des perspectives vertigineuses sur la compréhension (et la manipulation) de la nature humaine.

Les neurosciences aideront-elles l’élite de l’Humanité à mieux penser, à distinguer le Bien du Mal, et à construire un Monde Nouveau Meilleur où les hommes et les femmes nageront dans le Bonheur et seront imprégnés de Sagesse, la Sophia que voulaient découvrir Pythagore, Platon et Aristote ?

Je crois que la réponse est négative. Mais ce n’est que mon avis.

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