Nuit sans sommeil (nouvelle fantasmagorique)

La nuit est lourde et noire, sans lune et sans étoiles. Joseph Denoncin ne dort pas. Dans les ténèbres de sa chambre, il voit briller les yeux rouges, menaçants, d’une bête monstrueuse, effrayante, qui surgissent de l’obscur, et qui ne sont que les chiffres lumineux d’une horloge électrique, posée sur une table basse à proximité du lit, qui lui indiquent qu’il sera trois heures dans quelques minutes. Joseph, ne parvenant pas à dormir, appelle à son secours, pour tromper l’insomnie, la Fantaisie, l’Espérance et la Sérénité…

La Fantaisie ne vient pas, sans doute peu intéressée par le sort d’un vieillard valétudinaire et insomniaque. La Sérénité, impassible, ne vient pas davantage. Mais l’Espérance paraît, se présente à Joseph sous les apparences séduisantes d’une jeune femme blonde, légèrement vêtue. D’une voix céleste et enivrante, elle lui annonce la venue prochaine d’un nouveau matin aux couleurs de l’aurore. Elle lui raconte les merveilles à venir de l’aube et des lumières. Elle dissipe les terreurs de la nuit et renvoie dans leur tanière les bêtes monstrueuses, effrayantes. Elle emmène Joseph au pays des rêves, pour visiter la mystérieuse Kadath, pour découvrir les splendeurs sublimes du Suprême Savoir des sages des cités myroniennes, et pour rencontrer les philosophes du Pont d’Or, habillés de toges rouges.

En direction de Kadath, la cité de bronze et de porphyre, où se jouent des musiques savantes et suaves, où l’on entend les voix apodictiques des magiciens et des géomètres, Joseph traverse d’immenses déserts de sable jaune, il pénètre dans des forêts obscures, il rencontre des peuplades étranges, quelques-unes réunissant des êtres d’une surprenante beauté, mais la plupart rassemblant des individus répugnants, d’une laideur extrême écoeurante, aux mœurs abjectes, infâmes, ignobles. Enfin, Joseph arrive en vue de la ville de porphyre et de bronze. Kadath est protégée par une enceinte faite d’une haute muraille cyclopéenne de pierres grises. Des militaires montent la garde devant une porte monumentale. Joseph entre dans Kadath. Un groupe de notables de la ville accueille le voyageur, et l’initie aux mystères de la cité.

Joseph Denoncin reprend sa marche, portant un léger bagage de comestibles et de théorèmes. Il lui faut encore visiter les villes myroniennes, aux confins de l’espace et du temps. Les pouvoirs de l’Espérance l’aident à franchir des distances presque infinies. Il s’entretient avec les douze philosophes du Pont d’Or.

A sept heures et demie, revenu dans sa chambre maintenant éclairée par la lumière du nouveau matin – l’Espérance ne l’a pas trompé –, après un voyage de plusieurs jours qui n’a duré que quelques heures (le pays des rêves et de l’espoir contracte le temps), Joseph se lève et se prépare un petit déjeuner de café au lait, de tranches de pain blanc tartinées de pâte au chocolat et de confiture.