Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Jean C. Baudet

Materialisme et non-materialisme

23 Juin 2018 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Philosophie, #Matérialisme

En respectant le principe du tiers exclu, on doit comprendre qu’il y a deux, et seulement deux options philosophiques possibles : le matérialisme et le non-matérialisme. La diversité considérable des systèmes philosophiques, que l’on rencontre en étudiant l’histoire de la pensée (voir J.C. Baudet : Curieuses histoires de la pensée, Jourdan, Bruxelles, 2011), se ramène à cette opposition radicale, même si le matérialisme comme le non-matérialisme donnent lieu à des développements divers très nombreux.

Le matérialisme pose que seule existe la matière. Le non-matérialisme prétend qu’il existe autre chose, en plus de la matière. Le matérialisme est un monisme, le non-matérialisme est un dualisme. On pourrait envisager une troisième position, qui prétendrait que la matière n’existe pas, et que donc seules sont présentes et réelles des entités non-matérielles, mais cette troisième option est intenable : jamais aucun philosophe n’a pensé sérieusement nier l’existence de son corps, de l’eau qu’il boit, des nourritures qu’il consomme, etc. Notons que le matérialisme est aussi appelé « physicalisme » (terme proposé par Rudolf Carnap), ou encore « réductionnisme ».

La définition de la matière est d’emblée très simple, même si l’approfondissement de la question conduit à des abîmes de difficultés : la matière est ce qui est de même nature « ontologique » que le corps des hommes et que tout ce que le corps peut atteindre par ses capacités sensorielles : les maisons de la ville, les arbres de la forêt, les étoiles du ciel nocturne, etc. Qui pourrait douter sérieusement de l’existence de sa maison ?

Les non-matérialismes sont appelés « idéalismes » ou « spiritualismes ». Ils admettent l’existence autonome, à côté de la matière, d’entités non-matérielles (et donc inaccessibles par les sens, mais atteignables par d’autres moyens cognitifs : la raison pure, l’intuition, la sensibilité poétique, etc.). Ces entités peuvent être les « esprits » et les « ancêtres », ainsi que le sacré et le tabou des mythes des peuples primitifs, les démons et les dieux des religions, le monde des Idées de Platon, les éons de Plotin, les monades de Leibniz, les noumènes de Kant, la volonté de Schopenhauer, les idées-forces d’Alfred Fouillée, et tous les autres « objets spirituels » que l’on rencontre dans la longue histoire des mythes, des religions et des idéologies. Il faut noter que, très fréquemment, les spiritualismes dévalorisent la matière. C’est le monde profane inférieur au monde sacré ; c’est le monde terrestre inférieur au monde céleste ; c’est l’en-bas dominé par l’au-delà ; et ainsi de suite…

Le matérialisme nie l’existence de « valeurs » transcendantes, qui s’imposeraient aux hommes de manière absolue. En particulier, admettant que l’homme se réduit à son corps (l’existence d’une âme est une illusion de nature religieuse), le matérialisme rejette toute sacralisation de l’homme, c’est-à-dire tout « humanisme ». Pour les matérialistes, les débats sur l’avortement, la GPA, l’euthanasie, la peine de mort, n’ont pas lieu d’être.

Il est remarquable que le matérialisme apparaît dans l’Histoire avec l’avènement même de la philosophie, inventée par les physiciens de Milet (Thalès, Anaximène…), que l’on peut définir comme une recherche qui rejette toutes les traditions, et en particulier les traditions religieuses. Trois doctrines naîtront de la physique (physis) des Milésiens : la théorie des quatre éléments (Empédocle d’Agrigente), l’atomisme (Démocrite d’Abdère) et le pythagorisme (Pythagore de Samos). Celui-ci est un matérialisme intellectualisé, qui réduit la matière aux nombres, qui en constitueraient la réalité ultime. Le pythagorisme est ainsi comme une prémonition de la physique contemporaine, qui décrit les particules élémentaires comme des assemblages d’objets mathématiques.

La grande majorité des hommes rejettent les conséquences du matérialisme avec horreur, incapables qu’ils sont soit de se départir de leurs croyances religieuses (voir le fanatisme des monothéismes), soit de renoncer à attribuer à l’homme une place éminente et sacrée dans l’Univers, soit de se libérer de leur sentimentalité et de leur imagination qui invente des fantasmes consolateurs (l’âme, la vie éternelle, les droits de l’homme, l’amour, la justice, le paradis…).

 

Références : Gassendi (Pierre): De vita, moribus et doctrina Epicuri libri octo. Lyon (1647) ; Marx (Karl): Differenz der demokritischen und epikureischen Naturphilosophie. Thèse de doctorat (1841) ; Lange (Friedrich A.): Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart. J. Baedeker, Iserlohn (1866) ; Nizan (Paul): Les matérialistes de l'antiquité. Démocrite, Epicure, Lucrèce. Editions sociales internationales, Paris, 179 p. (1936) ; Rochot (Bernard): Les travaux de Gassendi sur Epicure et l'atomisme. J. Vrin, Paris, XVIII+212 p. (1944) ; Tosel (André): Du matérialisme de Spinoza. Kimé, Paris, 215 p. (1994) ; Salem (Jean): La légende de Démocrite. Kimé, Paris, 158 p. (1996) ; Salem (Jean): L'atomisme antique. Démocrite, Epicure, Lucrèce. Librairie générale française, Paris, 255 p. (1997) ; Quiniou (Yvon): Athéisme et matérialisme aujourd'hui. Pleins feux, Nantes, 60 p. (2004) ; Bunge (Mario): Matérialisme et humanisme. Pour surmonter la crise de la pensée. Liber, Montréal, 290 p. (2004) ; Nikseresht (Iraj): Démocrite, Platon et la physique des particules élémentaires. L'Harmattan, Paris, 324 p. (2007) ; Conry (Yvette): Matières et matérialismes. L'Harmattan, Paris, 280 p. (2013) ; Quiniou (Yvon): Misère de la philosophie contemporaine, au regard du matérialisme. L'Harmattan, Paris, 258 p. (2016).

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article