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Jean C. Baudet

Sur la valeur de l’editologie

17 Septembre 2018 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Editologie, #Philosophie

Mes vieux jours sont hantés par une effrayante, angoissante et lancinante question, qui est de savoir quelle est la valeur de « mon » éditologie (1984) par rapport à la sociologie d’Auguste Comte (1830), à l’épistémologie de James F. Ferrier (1856), à la phénoménologie d’Edmond Husserl (1901), à la sémiologie de Ferdinand de Saussure (1916), à la grammatogie d’Ignace J. Gelb (1952) et de Jacques Derrida (1967), à la pragmatologie d’Eugène Dupréel (1955), à la praxiologie de Thadée Kotarbinski (1964), à la médiologie de Régis Debray (1996).

J’ai dénommé « éditologie » l’ensemble des résultats, qui me paraissaient cohérents, de mon travail philosophique et je n’ai cessé, pendant le temps que me laissaient mes autres occupations, d’approfondir la portée de cette manière de philosopher, et donc de tenter de répondre aux grandes questions, et d’abord à la question gnoséologique, la question de la connaissance. Il me fallait donc, avant toute autre chose, posséder une définition opérationnelle des « savoirs », et ma réflexion me conduisit, dans ma quarantième année, à cerner tout savoir « comme un ensemble de textes édités ». Le néologisme « éditologie » s’imposait de lui-même, d’autant plus sûrement que je voyais dans les modalités de l’édition le criterium qui permettrait de distinguer les textes non-scientifiques (mythes, idéologies) des textes scientifiques. J’énonçai alors les deux postulats de ma démarche, 1° le primat de la technique (me basant notamment sur les travaux d’Henri Van Lier), 2° l’historicité de la science (prolongeant la pensée de Gaston Bachelard). Bien que soumettant les fruits de ma recherche à l’épreuve du doute méthodique, afin d’extirper de ma pensée tout préjugé ou illusion d’origine émotionnelle, je ne pouvais me défaire de ces évidences : primo, l’homme a inventé la technique avant le langage (il y a déjà des proto-outils chez les grands singes) – la technique est donc gestuelle, pré-langagière, secundo, la science, de nature textuelle, est en constante évolution, et a donc une histoire !

Je construisis alors le concept de STI (science-technique-industrie), et je vis dans l’instrumentation, née de la technique, le moteur responsable de la scission entre philosophie et science (dans le sens actuel du terme). Ce concept d’instrumentation (qu’il est vraiment difficile de récuser au temps des accélérateurs de particules, des télescopes géants et des séquenceurs d’ADN) me permettait de prolonger la pensée de Popper : toute « falsification » n’est possible que par l’usage d’une instrumentation ad hoc !

Et donc, la valeur de l’éditologie tient à la solidité de ses deux fondations, une « observation » de la technique et une observation de la science. Qui pourrait nier la relation diachronique « technique-science » ?

L’éditologie se méfie comme d’une peste du bavardage et du verbalisme des obsédés frénétiques de la nuance, des explorateurs exaltés des profondeurs, des illusionnistes de l’indicible (et même de l’impalpable), des friands de paradoxes. Elle part du concret (retenant en cela la grande leçon de l’existentialisme), c’est-à-dire des plaisirs, des espoirs et des peines de l’homme vivant. Nul besoin d’aller chercher « le sens de la vie » (et donc les déterminations de l’Être) dans un arrière-monde dont on parle dans de vieux livres, et qui n’est que fantasme. Mais l’éditologie tient aussi grande ouverte la porte du scepticisme. Sa seule certitude est le doute, et donc le rejet de tout dogmatisme (l’éditologie n’est pas une doctrine). La philosophie, y compris l’éditologie, ne peut dépasser la certitude que l’inobservable est inconnaissable. Alors, à quoi bon l’ardeur des poètes, des prêtres, des prophètes, des législateurs, des réformateurs sociaux, à vouloir peupler cet arrière-monde imaginaire de dieux, d’anges, de démons, de valeurs et de « fins dernières » ?

Que vaut l’éditologie ? Que vaut la philosophie ? C’est l’effrayante, angoissante et lancinante question qui hante un vieil homme qui a perdu sa vie à en chercher le sens, dont les textes édités – philosophèmes, poèmes et blasphèmes – rejoignent la montagne immense et dérisoire des illusions humaines. Pourquoi ai-je quitté la position confortable du chercheur « scientifique » pour me plonger dans les exercices périlleux de la méditation philosophique ? Ne voyais-je point que la lucidité ne pourrait me conduire qu’au désespoir, sur les chemins, comme disait Heidegger, « qui ne mènent nulle part » ?

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