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Jean C. Baudet

Le cheval Tod (conte philosophique)

5 Septembre 2016 , Rédigé par jeanbaudet.over-blog.com Publié dans #Conte

Je marche dans la Ville. Je viens de quitter le boulevard, et je pénètre dans un quartier que je ne connais pas, où je ne me suis jamais promené. Une avenue plantée de platanes à l’écorce grisâtre. De grandes maisons, toutes semblables, aux murs de briques jaunes. Des jardinets fleuris. Je marche. Un sentiment fait d’étonnement et de curiosité, et de crainte, m’envahit. L’étrangeté du lieu, sans rien qui bouge dans le soleil d’une fin d’été, est accentuée par le silence, car je n’entends aucun bruit. Pas une seule automobile ne passe. Aucun promeneur sur les trottoirs. Je sens des gouttes froides de sueur couler dans mon dos. Mon anxiété se développe. Ma solitude est totale, et j’ai la pénible impression d’être épié. Je m’arrête. Je fais demi-tour, fortement angoissé. Un grand cheval blanc, très beau, s’avance vers moi, à pas lents. Il s’arrête quand il est à portée de main. Il me dit « Je m’appelle Tod ». J’ai toujours peur, mais je ne suis pas étonné spécialement de parler à un cheval. Il s’exprime avec un fort accent allemand. Je lui demande « Vous venez d’Allemagne, ou d’un pays germanique ? ». Il me répond qu’en effet il vient de Berlin, où il a suivi les cours de Georg Hegel, et qu’il était avant à Königsberg, où il suivait les enseignements d’Emmanuel Kant, et qu’encore avant il était à l’Université de Halle, pour s’initier à la philosophie de Christian von Wolff. Nous échangeons quelques propos et, brusquement, il me souhaite « une bonne fin de journée » et s’éloigne au galop.

L’avenue est de nouveau silencieuse, et l’angoisse est revenue. C’est tellement pénible que je voudrais sortir de moi-même, échapper à cette épouvante hideuse, et je reprends ma marche, dans un décor cruellement désert où tout m’est hostile, les arbres, les maisons jaunes, et le ciel devenu gris comme du plomb. J’ai beaucoup marché, et je m’approche des grilles de fer d’un parc. Je pénètre dans ce lieu également silencieux, mais égayé par de grands buissons d’hortensias et d'aucubas. Le parc entoure un vaste bâtiment que je n’avais pas vu en franchissant les grilles, avec des portes de verre et sur le fronton la seule inscription « Hôpital ». Je pousse une porte, ma sueur coule à grosses gouttes, je m’avance vers un comptoir derrière lequel bavardent et rient des infirmières en blouse blanche.

Je sais maintenant que je ne marcherai plus jamais dans la Ville.

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